Jean Raspail – La tribu, réponse à la solitude de l’homme moderne

Nous avons perdu, samedi dernier, un grand écrivain et un grand amoureux des peuples condamnés : les tribus indiennes du Journal peau-rouge, les Alakalufs de Qui se souvient des hommes, les innombrables minorités de Pêcheur de lunes et, bien sûr, les masses ahuries du Camp des saints

Jean Raspail
1925-2020

Cette triste nouvelle nous arrivait au milieu du spectacle des violentes manifestations du mouvement Black Lives Matter, signe de la désagrégation des sociétés occidentales, dont Jean Raspail avait mis en scène, dans ses récits, certains signes avant-coureurs. Dans son livre Journal peau-rouge, il recense les voies empruntées par les différentes tribus indiennes pour survivre à la colonisation de leurs terres. On y trouve déjà les tensions multiples qui faisaient le charme de son style, tout en violente finesse : pour décrire avec justesse une variété infinie d’attitudes, il oscille entre un romantisme rêveur, voie d’accès parmi d’autres au réel, et le réalisme le plus désabusé.

Comme souvent dans ses récits de voyage, on se prend à fraterniser sincèrement avec ces peuples du bout du monde et à y trouver des correspondances avec ce que vit l’Occident. Il nous semble particulièrement pertinent de relire aujourd’hui son analyse des choix identitaires des Chitimachas, dont on ne peut s’empêcher de tirer des analogies avec l’incapacité de nos sociétés désintégrées à endiguer l’émergence d’un nouveau tribalisme.

Les Chitimachas, tribu imaginaire contre la solitude d’une modernité désolée

Journal peau-rouge, 1975
L’extrait cité se situe à la fin du sixième chapitre, « Les plumes des Indiens sans plumes »

« Revenons aux Chitimachas. La pancarte signalait aussi, curieusement, leur qualité de vanniers. Je me demandais pourquoi car tous les Peaux-Rouges tressaient le jonc, et là, je trouvais encore Swanton, bible des Indianistes. C’est lui, et lui seul, John R. Swanton, dans la première édition de son ouvrage parue en 1952, à la page 202, qui salue les Chitimachas de cet unique compliment : ‘Meilleurs fabricants de paniers’. »

Les Chitimachas s’étaient ainsi inventé de toute pièce une culture de la vannerie, s’étaient fournis chez les autres tribus pour remplir leur musée et enseignaient le tressage des panniers à leurs enfants dans les écoles. Rien, pourtant, ne les rattachait plus à cette tradition, qui n’avait d’ailleurs probablement jamais existé chez leurs rares ancêtres indiens. Ce désir d’indianité ne se limitait pas à l’enseignement de la vannerie mais contenait un vrai projet d’exclusion des étrangers :

« Prochaine étape ? Le président de la tribu, Lary Burgess, Franco-Indien de père américain (je ne lui donnerais même pas le seizième [de sang] peau-rouge sans confession) :
– Expulser de la réserve tous ceux qui y habitent et ne sont pas chitimachas.
C’est dit sans haine – manquerait plus que ça ! – mais c’est dit.
[…]
« Entre les Peaux-Rouges et les autres, je ne voyais aucune différence. J’allai parler à l’un des condamnés, un brave bonhomme qui hochait la tête tristement :
– Voilà trente ans que j’habite là sans problème. Je ne comprends pas ce qu’il leur arrive subitement. J’ai hérité cette maison de mon père, qui l’avait construite bien avant que nous nous découvrions une tribu à Charenton. Mon voisin, c’est vrai, nous l’appelions l’Indien, amicalement, parce qu’il avait eu une grand-mère indienne et s’en souvenait. Cela lui faisait plaisir. Qui sait si je n’ai pas quelques gouttes de sang indien, moi aussi ? Mais je ne m’en souviens pas ni personne autour de moi. Me voilà paria dans mon propre village.

« La guerre des Onondagas ? Cette fois, on ne se bat même plus pour la race, mais pour un vague souvenir. Cela ne me plaisait pas beaucoup. Je demandai à Larry :
– Pourquoi vouloir être indien, dans votre cas ?
La réponse tomba :
– Pourquoi pas ?
Je regardai Bonnie. On se laisse pousser des nattes, on se plante une plume dans les cheveux pour ressembler au modèle et on remonte la chaîne de l’hérédité par des détours hypothétiques. Après quoi, on se proclame minorité, puis minorité combattante. La tribu, réponse à la solitude de l’homme moderne. Nous sommes tous des Indiens… »

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